Bien que CRAVE soit le premier long métrage de Charles de Lauzirika, celui-ci n'est pas inconnu des DVD-philes en tous genres. En effet, depuis HANNIBAL, il est le documentariste attitré de Ridley Scott, responsable de mémorables interactivités telles que celles de KINGDOM OF HEAVEN ou BLADE RUNNER. Après une dizaine d'années dans l'ombre des plus grands, il saute le pas et met lui-même en scène un vrai film de fiction. Il s'agit d'un projet assez modeste, avec pour vedettes des comédiens habitués à la télévision (Josh Lawson) ou aux seconds rôles (Emma Lung). Ils sont accompagnés par les silhouettes familières d'Edward Furlong et de Ron Perlman.
Photographe indépendant, Aiden peine à joindre les deux bouts, louvoyant entre sa spécialisation dans les faits divers et des tâches alimentaires ingrates. Solitaire, mal dans sa peau, perturbé par des voix intérieures résonnant dans son crâne, il passe sa morne existence à échafauder des projets irréalistes tel que de nettoyer la ville de ses criminels ou inventer une machine géniale qui assurerait sa fortune instantanément.
CRAVE marche sur les traces d'une série de Films Noirs urbains relatant les psychoses et les déséquilibres d'un individu solitaire, noyé dans l'anonymat et la dureté d'une grande ville. A l'instar du Travis Bickle de TAXI DRIVER ou du Paul Kersey d'UN JUSTICIER DANS LA VILLE, il pense urgent qu'une personne prenne en main la justice dans la ville, court-circuitant des lois trop douces et inefficaces. Sauf que la démarche d'Aiden reste essentiellement au niveau du fantasme, de visions irréalistes et délirantes de la réalité telle qu'il la perçoit, telle qu'il aimerait qu'elle soit plus que telle qu'elle est réellement.
Ainsi, quand il pense pouvoir mettre hors d'état de nuire un pédophile, il se comporte comme un maître chanteur de bas étage. Quand il veut intervenir dans une rixe, les choses tournent mal, contre lui qui plus est. Aiden souffre d'une schizophrénie aigue, se manifestant aussi bien par des hallucinations que par des dialogues internes à son esprit, reflet de ses frustrations sociales et sexuelles.
La grande qualité de CRAVE se trouve dans son écriture, un poste pourtant rarement gâté dans le cadre d'un premier film. Aiden et son entourage prennent vie avec richesse et diversité, révélant diverses facettes de leurs personnalités comme le métrage se déploie. Qui plus est, en dépit de moyens qu'on devine limités, CRAVE bénéficie d'une belle mise en image, avec une photographie et une image scope trouvant un juste équilibre entre rendu crédible d'un quotidien terne et une facture suffisamment léchée pour flatter l'oeil.
Certes, il faut être honnête, cette histoire de personnage isolé dans une ville rongée par l'individualisme et la violence n'est pas une totale nouveauté. Charles de Lauzirika se livre à un exercice de relecture, CRAVE sortant clairement du même moule qu'un TAXI DRIVER. Cela dit, il le fait sans jouer dans la surenchère et en apportant suffisamment de personnalité et d'attention aux détails pour assurer un premier long métrage nettement prometteur.